L'épitaphe de Manon ou " Ballade des poivrots "

Frères buveurs qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, se pitié de nous poivrots avez,
Gin en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci accoudés cinq, six :
Quant au foi, que trop avons nourri,
Il est piéça dévoré et pourri,
Et nous, le pif, devenu violet et rouge.
De notre trogne personne ne s'en rie ;
Mais pissez dru, pas dans un dé à coudre !

Se frères nous éclusons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes torchés
Par excès. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes bien gris,
Envers le Patron qui verse l'Eau-de-Vie,
Que sa source ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale soif.
Nous sommes ivres, verse un autre demi,
Mais pissez dru, pas dans un dé à coudre !

La bière nous a cuités et soûlés,
Et le pastis enivrés et noircis.
Prune, armagnac nous ont les yeux cavés,
Et abolis les tracas, les soucis.
Jamais nul temps nous ne sommes à jeun
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus éthyliques que patrouille de flics.
Et soyez donc de notre confrérie ;
Mais pissez dru, pas dans un dé à coudre !

Prince Cognac, qui sur tous a maistrie,
Garde que Cirrhose n'ait de nous seigneurie :
A elle n'ayons que faire ne que soudre.
Poivrots, ici n'a point de moquerie ;
Mais pissez dru, pas dans un dé à coudre !


Pastiche 51, un projet T.A.P.I.N., Christophe Manon (François Villon), L'épitaphe de Manon ou " Ballade des poivrots "