COUPE CAROTTE
par Lucien Suel
in memoriam WSB
Pour ce dossier sur ma pratique du cut-up et comment celui-ci a influencé mon écriture, voici 17 extraits de textes. J'ai coupé les textes au 83ème mot pour un ultime hommage à William Burroughs qui a vécu 83 années entre 1914 et 1997.
n° 1 (inédit)
Texte composé en avril 1972 selon la méthode dada des mots placés dans un chapeau et transcrits dans l’ordre de leur apparition. La présentation en lignes de longueurs différentes correspond à la disposition du texte collé sur une affiche au fur et à mesure de son apparition.
L’oeuf était portative
l’espace tout contre fruits fanfares !
passé voulu tous catalogues. Médecins de rien
9 % de talion guerre universelle
une refuse ?
New festin bâtir pour temps patries
pour exploit écrémé Monsieur ?
Les machines parole que stratège international complet contient brutes
verre travaille davantage pour le trouble 19
préservez l’abbé catalogue vide
entreprises mots
Apprenez témoin volant nommé luxueux
espionnage de tabac
et numéro volonté dans super-gros effroyables
grande loterie nous vous l’être calcaire menacés
chefs voulez /
n° 2 (publié en août 1981 dans le n° 1 de la revue Le Jeu des Tombes.)
Les extraits n°s 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, proviennent de Sombre Ducasse, ouvrage publié en 1988 par la Station Underground d'Emerveillement Littéraire. Le texte n° 2 est un cut-up classique réalisé à partir de pages de mon carnet de notes dans les années 70 (pages coupées en 4 et scrupuleusement réassemblées selon les principes mis au point par William Burroughs et Brion Gysin).
tout un nouvel bureaucrate leggins à lacets c'est tel entrepreneur pinant le visage ronfle des matériaux de l'impossible accepté le happiness des croûtes prix moindre pour ce rêve de mauvaise qualité donc de l'aiguille dans mon usine de chair emporter le marché moisi dans le travail descendant augmentation des cadences sifflant des acides twenty-five tous très intéressants c'est de tous les dingos le rail lumpen le responsable des cordes cherche la cause bop bouffée piètre accident dans bien /
n°3 (publié en 1979 dans la revue Anatolie au Café de l’Aube, n° 9/11. Ce texte a fait l'objet d'une adaptation sonore sous le titre Laboratoire 23 dans la cassette In Hymnis et Canticis.)
C’est un cut-up de cut-up à partir des mêmes matériaux utilisés dans le texte n° 2. Le résultat est transcrit brut à part quelques effets sonores ajoutés. Le titre est celui d’un chapitre de mon cours d’anglais quand j’étais au collège.
LE CALENDRIER DANS LA CHAMBRE DE SES PARENTS.
JAN
garçon nu sur la planète dont il était amour indignation sur la mer virage madame du service contentieux merde en soprano victor écho eulalie c'est pourquoi wa wa wa wa wa wa mais il y a mieux pois bravo dany motrice cornet de frites hurlement
FEV
sagittaire chut boum crépitement des saucisses deux ballots de paille en guise rémouleur tea-accident double hidalgo de monde sec sec le cal quelques-uns de leurs /
n° 4 (publié en mai 1979 dans le n° 12 de la revue The Starscrewer.)
Celui-ci n’est plus à proprement parler le résultat d’un cut-up, ou alors on dira un cut-up mental. A l’origine, il s’agit d’une prise de notes pendant le cours d’un professeur de géographie. La prise de notes se fait automatiquement, donc, en sautant des mots et des phrases. Le sens n’a aucune importance (on écrit ce que l’on entend au moment où l’on écrit) d’autant que s’ajoutent aux bribes du discours initial, des considérations personnelles sur le cadre de l’action (lieu, bruits, odeurs...) et sur les particularités des participants. Le texte est ensuite réécrit avec quelques transformations littéraires.
L'imprégnation doit être la plus longue possible. Photographiez des lieux connus, trop connus, me direz-vous. Eh bien, on peut contrôler ! Changez la situation et CONTROLEZ ! Modifiez la mémoire, aplatissez les ondes alpha... Vous m'suivez. "Ne bouleversez pas tout quand même, intervient M. Jesaistout, tout ceci pose des problèmes considérables : nouvelles utilisations, nouvelles interventions, mettez une table ici, mettez une table là-bas, oui, 99 % d'entre nous avons le mort au sommet !"
Ceci est très intéressant : enveloppez Saint Paul /
n°5 (publié en novembre 1985 dans le n° 61 de la revue La Poire d'Angoisse.)
" Le témoin " est un cut-up élaboré à partir d’un prospectus distribué par les Témoins de Jéhovah. Au résultat obtenu s’ajoutent parfois des éléments décrivant les illustrations du tract.
LE TEMOIN.
Vous aussi, vous êtes lésé ! La criminalité & les effectifs de la police... Quoiqu'il en soit, savez-vous que les criminologues admettent que même si votre vie n'a jamais dérobé votre portefeuille, vous êtes lésé par là au fond du problème ? Les prix que vous payez sont au mépris de la loi avec les employés qui volent les marchands sur le dos des consommateurs. Victime d'un vol, vous pouvez le connaître. Tous les systèmes cupides pâtissent. Or, seul(s) /
n°6 (publié en octobre 1983 dans le n° 2 de la revue Voluptiare Cogitationes.)
Cut-up à partir d'un exemplaire du Petit Parisien (1940) et de prospectus d’agences matrimoniales. Ajout d’un refrain produit par le cut-up (c’est la guerre).
Personne ne songe à le contester. Utilité des travaux menés par la commission docte de surveillance. La commission de surveillance rend des sentences sûres et éclairées au sujet du savon en paillettes et du fil de fer galvanisé. Nous payons pour savoir. Nous atteindrons un jour la stratosphère, ménagères pratiques de sens à un sou près. Ce qui se mange coûte de jour en jour plus cher. C'est la guerre. Il ne faut pas espérer profiter des douceurs et de l'abondance /
n°7 (publié en juin 1979 dans le n° 1 de la revue Le Point des Indices.)
Cut-up réalisé à partir de " poèmes de jeunesse ".
Sois précis dans la dérision.
les lunettes de la désolation - " O Mädchen, Mädchen, wie lieb' ich dich... " pleurant sur la vareuse du matelot d'anathème - femmes sur divans soyeux - le pendu de huit heures accroché au réverbère - " all along the watchtower " - nuit et soleil - où le bruit assombri du typhon est plus lourd sous ton aisselle je me freinerai avec la joie du Prince Emacié de la Gueuse charmant l'épine raide avec la main venteuse et suite faible après minuit sur des /
n° 8 (publié en juin 1979 dans le N° 1 de la revue Le Point des Indices.)
Faux cut-up mais vrai raturage (et corrections) réalisé sur un tract de la C.G.T. ; ce sont les débuts du poème-express (voir plus bas).
OUI
AU COMBAT
CONTRE LA VIE
HALTE A LA VIE
Il y a carence des pouvoirs publics.
Pour faire baiser les prix, il faut :
-Réprimer la spéculation
-Supprimer les inutiles
-Organiser les cons
-Réformer
C'est pourquoi la Confédération demande à ses organisations fidèles l'indépendance du mouvement à sa ligne de conduite du refus. Le combat contre la vie ne peut se mener dans la confusion.
NON A L'ACTION !
OUI
AU COMBAT
CONTRE LA VIE
HALTE A LA VIE
Il y /
n° 9 (publié en septembre 1986 dans le n° 5 de la revue La Duc d'Aumale.)
Vrai cut-up réalisé en croisant une page de l’Ecole Libératrice, organe (!) du Syndicat National des Instituteurs et une page d’un roman pornographique idiot.
...donne-toi au syndicat...gonflé à l'extrême...le mieux vaut le tumulte...écrasant le silence s'abat sur les indécis entraînant le formalisme sur le tapis & s'allonge...bureaucratisation bras écartés...chacune vient dans la réalité musclée de ses mains...divergences chevelures brunes prises sentant renaître ses forces sauts voluptueux dans les deux bouches...les tendances de peau syndicales différentes la vie elle-même...il explore les deux sexes parce que partenaires...le même désir menace le débat...Brigitte inhérente gémit /
n° 10
A mon avis, la plus belle phrase jamais apparue au milieu d’un de mes cut-ups :
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU " brillait magnifiquement dans le noir.
La formule " INDIVIDU "
n° 11 (inédit, 1996)
Boute-Carbure a été écrit en utilisant des petits cut-ups, colonnes d’un magazine de télévision coupées en leur milieu et déplacées par glissements. Le nouveau texte produit est retranscrit avec des ajouts de ponctuation.
BOUTE CARBURE
(Vers encore obscurs)
Jean ne leur souhaite pas de l’information sur la souffrance intérieure. Il enregistrait, ne disait rien de son ventre, il faut savoir (il pondait en riant) communiquer, glaces ! Je ne me rendais pas ces atouts dans beaucoup de boute carbure. Son père, chargé visé et coriace est un bougre sans momie. Il a tranché le petit soldat évidemment capable de sursaut américain pour faire le coup de feu dans le monde. Dans le film, très vite, lui, /
n° 12 (publié en 1996 dans la collection Ecbolade.)
Chapelet a d’abord été une série de notes rédigées en écoutant au casque des musiques inhabituelles et en ayant dans la tête la vision des plages de la Mer du Nord entre La Panne et Knokke-Le-Zoute. Les images amenées par la musique ont ensuite été passées au filtre de la justification, que je considère comme une forme de cut-up inversé. Le nombre de caractères dans chaque ligne (vers) est fixé, dans ce cas, à 15 caractères par lignes ( ce qui correspond au nombre de caractères du nom Knokke-Le-Zoute). Lorsque les mots sont trop longs, ils ne sont pas coupés mais transformés. Ils peuvent être remplacés par un synonyme, ou changés de place, ou supprimés. Dans tous les cas, le texte original est modifié, non plus par le coup de ciseaux, mais par la justification imposée. Pour que cette particularité apparaisse dans la page, il est nécessaire d’imprimer le texte en utilisant une police à espacement fixe.
Chapelet
Knokke-Le-Zoute
la houle pulsée
tympan décharné
au loin un ange
de l'Apocalypse
abat le sablier
polychrome arme
tachée couverte
de sable marron
Nemo nommé Dieu
dans l'escalier
du Nautilus moi
regard clos lui
respire le vide
la pensée lèche
mes oreilles et
l'étrave acerbe
du chalutier un
dauphin de bois
à la mer sévère
grand salon les
tuyaux d'orgues
Titanic délabré
nodules attente
patiente depuis
des siècles las
d'écoeurer dans
la suspicion le
monde des /
n°13 (publié dans le n° 1 de la revue Le Jardin Ouvrier en mars 1995)
Les textes de la série ETOILE POINT ETOILE proviennent tous du magazine " Moue de veau ". Ce magazine est composé de débris de textes, dessins, publicités,... d’origines diverses. Les textes sont intégralement recopiés dans l’ordre de leur apparition et forcés à travers le moule d’une justification (37 caractères par ligne).
ETOILE POINT ETOILE
00001
AKTION KUNST POESIE PRODUIT GARANTI A
BASE DE PULPE EXTRA DECHARNEE 85 % de
chair hyper-pitoyable, astucieusement
sélectionnée, provenant exclusivement
de nos abattoirs. SANS AUCUN COLORANT
Paroles. Calomnies, bavardages faits,
entendus, non empêchés, médisances en
mélodies, tomes, écrits et plaidoyers
diffamatoires. (Il faut dire par quel
motif on les a faites, devant combien
de congrégations, si elles ont eu des
achèvements préjudiciables.) Discours
contre la charité, rapports inutiles,
authentiques ou fallacieux ; semences
de prises de bec, railleries, mépris,
/
n° 14 (inédit, 1996)
Texte composé à partir du carnet de notes en utilisant la justification sans césure et le cut-up mental.
L’esprit de la pyramide est le trio à
Blake, Olrik et Mortimer, comme trois
en groupe. Sur une face, de pyramide,
la Vierge de Van Eyck prend le visage
de Néfertiti. Sur une autre face, des
quatre de la pyramide, Toutankhamon y
est écrivain, le scribe correspondant
tous les jours jusqu’à dix heures. Le
Maghreb est en Afrique, aussi du Nord
presque comme l’Egypte. Quand on sort
de l’Afrique par le train à la fin en
dernier lieu, on /
n° 15 (publié en 1994 dans l’ouvrage collectif De l’Amour, Ensemble Vide Editions.)
Texte réalisé en transcrivant avec justification (37 caractères) une série de poèmes express. Le poème express est, comme le cut-up (!), une réponse à l’angoissante (hum !) question de la page blanche, puisqu’il commence à partir d’une page déjà écrite, imprimée, le plus souvent, page arrachée d’un roman d’amour idiot ou d’un roman policier idiot. Il suffit de biffer le maximum de mots, de lignes jusqu’à arriver à une combinaison satisfaisante pour l’esprit ; une autre façon de briser les lignes d’association...
Les mots tombaient. La blessure était
toujours présente. Tout en elle était
douloureux. Elle avança vers la salle
de bains. Un frisson glacé la secoua.
Elle aspira profondément. Une torpeur
infinie l'envahit. Mais c'était peut-
être une illusion ? Elle ne parvenait
plus à parler. Elle avait vécu de ses
rêves. Elle ingurgitait cuillerée sur
cuillerée. Elle ferma les yeux durant
une seconde. Le monde devint morne et
mouillé. Ses jambes refusaient de lui
obéir. " Tout le monde est si joli. "
Cette /
n° 16 (inédit, 1995)
Autre texte réalisé à partir de poèmes express. Celui-ci me fait penser au Lundi, rue Christine, de Guillaume Apollinaire ! Modernité !
Un bref silence tomba.
Tout n'est pas perdu, dit-il en riant.
Il ramassa son chapeau.
C'est une plaisanterie !
Il n'attendit pas sa réponse.
Elle vit un homme sous la pluie.
Il m'a confié le chèque.
Il parut horrifié.
J'ai vu à la télévision des choses.
La pièce tournoyait autour d'elle.
fini de m'écoeurer j'avais suspecté tout le monde
une bonne âme la peine de mort
avaler toutes les drogues les travaux forcés
un sourire /
n° 17 (roman publié en 1996 par la Station Underground d'Emerveillement Littéraire.)
Les deux premiers chapitres du roman Le Lapin mystique ont été composés en mixant quelques pages d’un roman policier de Mickey Spillane avec des lettres de la carmélite Xavérine de Maistre et en passant l’ensemble dans une justification à 39 caractères par ligne. Voici le début du premier chapitre :
C'est dans le ruisseau que les matières
s'écoulaient, consacrées par une novice
qui avait fait voeu de chasteté sincère
mais temporaire. Au long de la nuit, le
vacarme héroïque des torturés rugissant
dans leur retraite s'ajoutait à la rude
déclamation des mendiants mystérieux de
l'enfer alcoolique. Une bouteille tomba
de la poche du kangourou ventriloque au
regard fixe. Le liquide tiède s'écoula,
absorbé par le sable rouge du désert et
les forficules assoiffés. J'oserai vous
parler de /
Lucien Suel